La première semaine étant consacrée à l'établissement d'un diagnostic des objectifs et des priorités, je souhaite rencontrer individuellement chaque artisan dans son atelier. Je les connais déjà presque tous pour les avoir déjà eus en formation l'année précédente.
Nous commençons donc par Henriette dont la maison est à 200 mètres en contrebas du centre.
Ce premier entretien se déroule dans la pièce principale de la maison qui est à la fois la salle à manger, la chambre, et l'atelier d' Henriette . Elle ne tisse pas mais ne fait que du filage au fuseau. Un peu timide, elle parle peu, d'autant que nous sommes accompagnées de la moitié des artisans. Larisoa traduit tant bien que mal les questions-réponses.
Après ce premier entretien nous descendons à pied les 2 kilomètres qui nous séparent du village et allons chez Philibertine.
Philibertine est la présidente de l'association Sahalandy. C'est une association créée il y a 5 ans pour regrouper différentes petites associations oeuvrant dans le même but. Il y a 80 adhérents environ, dont 30 actifs.
A voir Philibertine on ne soupçonne pas l'énergie qu'elle déploie quotidiennement. Elle dégage plutôt une sorte de nonchalance tropicale...pourtant, cette mère de 8 enfants mène de front ses activités artisanales, domestiques et s'occupe activement de l'association, toujours avec le sourire...
Puis nous allons chez Henri et Prisca où un déjeuner nous attend.
Prisca sera « ma » cuisinière pendant le séjour. Elle a un projet de restaurant non loin du centre artisanal. (C'est la première fois que je n'ai pas maigri pendant un séjour à Madagascar, j'aurais même pris du poids...Prisca m'a concocté pendant tout le séjour des petits plats meilleurs les uns que les autres, en très grosse quantité : je n'ai jamais pu finir une assiette!).
Elle a certes pris son rôle de cuisinière très au sérieux, mais au détriment de l'objectif de la mission., elle n'aura pas eu le temps de travailler sur un seul modèle.
Henri, lui, travaille dans son coin et me fait voir quotidiennement ses réalisations : sac, sac à dos qui sont très originaux par rapport à ce que j'ai vu jusqu'ici et nous pouvons discuter des points à améliorer. Mais il ne semble pas vouloir que les autres voient ses modèles.
L'après-midi et les jours suivants nous faisons ainsi le tour des ateliers, ce qui me fait découvrir les environs de Sandrandahy, certains étant à 1 bonne heure de marche du village.
Les discours sont unanimes :
le problème principal est le manque d'argent pour acheter la matière première.
Car, chose curieuse, si l'on tisse depuis des générations à Sandrandahy, on n'a jamais été autonome en matière première, que ce soit soie ou coton.
La soie sauvage a toujours été achetée à Ambatofinandrahana ou à Ambohimanjaka, là où se trouvent les forêts de tapias, arbres sur lesquels les chenilles du borocera madagascariensis se nourrissent et font leur cocon au rythme de 2 cycles de production par an.
Mais depuis 2 ans le prix du kilo de cocons est passé de 3000 à 18000 ariary ! Et il faut 2 kilos de cocons pour un kilo de fil, ce qui amène le kilo de fil à 60 000 ariary minimum au lieu de 30 000, et c'est au détriment de la rémunération de la fileuse.
Cocons de landibe, soie sauvage de Madagascar.
Je demande ce qui a provoqué cette flambée des prix.
Les réponses sont évasives : la « crise » (toutes les matières premières ont effectivement augmenté depuis le début de la crise politique de 2009), le manque de cocons (en fait non, il y a même des endroits où ils ne sont pas ramassés car situés dans des zônes rouges où sévissent les « dahalo », brigands de grands chemins), mais surtout, mais cela je m'en apercevrai par moi-même, parce que les américains achètent tout, parfois même avant récolte et au prix fort.
Les artisans malgaches n'ont plus qu'à s'aligner sur les prix fixés par les américains s'ils veulent des cocons...
Or à Sandrandahy, les artisans n'ont pas de sous...un peu à cause des américains.... on tourne en rond !
Il me faudra plus d'une dizaine de jours pour avoir bribes par bribes les explications de cette situation.
Quand j'étais passée à Sandrandhy en mars 2011 c'était l'euphorie !
Grâce à une Peace Corps (volontaire) américaine dont la mission était de trouver de nouveaux marchés,les artisans allaient participer à une grande foire du commerce équitable à Santa Fe.
Un stock impressionnant d'écharpes allait donc quitter les ateliers pour les Etats Unis.
Prisca qui joue le rôle de commerciale de l'association allait même partir là-bas où les écharpes allaient pouvoir se vendre 3 fois plus chères qu'à Madagascar et tout le bénéfice serait pour les artisans.
De passage à nouveau en novembre 2011, l'enthousiasme était un peu retombé même si les résultats obtenus étaient loin d'être nuls : 6000 dollars de chiffre d'affaire, une aubaine !
Oui mais... avec ces 6000 dollars il a fallu payer le frêt, la douane, le voyage de Prisca, ses frais sur place, le stand à Santa Fe et ils ont fondu comme neige au soleil...
Ajoutez à cela que, bénéficiant d'une subvention européenne, d'un terrain donné par la mairie, Sahalandy s'est engagé dans la construction d'un centre artisanal regroupant un magasin, une magnanerie, un atelier et des bungalows dont l'association doit assumer une partie des frais qui représentent 25% de la somme gagnée aux Etats Unis, et au bout du compte il ne reste plus rien des 6000 dollars. Les artisans n'ont donc pas récupéré individuellement leur mise de fond initiale pour leur stock et sont sans rentrée d'argent signifiante depuis un an...
Ces explications sont un peu longues mais nécessaires à la compréhension de la situation actuelle et des difficultés que j'ai rencontrées lors de ma mission.